[Présentation] Jean Delabroy

sources : www.editions-verticales.com

JEAN DELABROY

Biographie : Né à Bordeaux en 1947, Jean Delabroy quitte la Gironde en 1966 pour l’école de la rue d’Ulm. Il enseigne la littérature française à l’Université Paris-7. Son premier roman, Pense à parler de nous chez les vivants, qui a été salué par la critique, est sorti en 1997 aux éditions Verticales.

Livres :

Pense à parler de nous chez les vivants (1999)

"Une Toussaint, je me souviens. Toute l'après-midi, j'avais bêché dans le jardin, pour préparer les plates-bandes du printemps futur. Le crépuscule était descendu vite, pendant qu'une pluie, forte et froide, se mettait à tomber, et je me hâtais dans la glaise d'enterrer mes bulbes avant l'obscurité complète. Quand je relevai la tête pour courir m'abriter sous l'auvent de la terrasse, je l'aperçus. Elle avait cessé de regarder la télévision, elle s'était avancée jusqu'à la porte. Elle était là, appuyée à sa canne, derrière la vitre. Scrutant la nuit. Je restai où j'étais, arrêté en haut des marches, avec mes mains maculées, les sabots englués de boue, l'eau qui dégoulinait sous le col de ma veste en gros velours. Je me rappelle : je me doute qu'elle ne me voit pas. Je la vois, moi, qui lâche sa canne, pose une main à plat à hauteur de sa tête, pour mieux se coller à la vitre. Son visage fait une tache blanche dans le noir."

Dans les dernières années du monde (2005)

C’est la vie d’Alain Gerbault – as de l’aviation de 1914-18, tennisman international, navigateur légendaire –, presque entièrement "visionnée", qui sert de fil conducteur à ce livre, mais il n’y est jamais nommé, pour éviter le malentendu, pour qu’on ne prenne pas ce roman pour une biographie historique.
Un chavirement a fait de ce héros un homme sans feu ni lieu, un mendiant qui va mourir au fond de l’Océanie. C’est l’histoire d’une fuite, d’une perdition, loin d’un Occident honni, à la recherche, mortelle, d’une grandeur native de l’Humanité qu’il a cru trouver en Polynésie.
Quand avons-nous commencé à être morts ou de quand date l’intolérable aujourd’hui ? Peut-être de ces lointaines et très proches trente années, entre les deux guerres mondiales, où les destinées chaotiques, l’ambition, l’illusion, le désespoir, font miroir à ce que nous sommes devenus.
Jean Delabroy a fait un roman-monde, un plein d’aventures, de ciel et de mer, de guerre et d’exil, un plein d’années et d’espaces: mais l’essentiel est moins dans l’amplitude que dans la profondeur, moins dans les aventures que dans leurs résonances multiples. C’est l’âme aussi qui est un monde, sur des chemins bouleversés, impossiblement spirituels.
Écrit dans la révérence de Conrad, Melville et Faulkner, Dans les dernières années du monde cherche les rythmes et les voix qui font entendre, sous les personnages multiples, la
continuité anonyme du vivant : "Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du coeur des hommes", ce mot de Maeterlinck a hanté l’auteur pendant les six années de rédaction de ce texte.

Je n'ai rien lu mais je voulais vous en parler parce que ça me semble très intéressant. Delabroy est un pote de Bonnefoy et il écrit du nouveau-roman. C'est-à-dire que son dernier livre, ci-dessus cité, est écrit avec très peu de points et beaucoup de virgules. Du coup, dire "attend, je finis ma phrase" prend une toute autre dimension. J'ai très envie de le lire pour voir comment il fait, je vais l'acheter et vous rapporter mon avis. En attendant, voici un extrait (c'est le début) :

Alors, il sut que c’était fini.
Avant, pendant tout ce temps, il y avait eu le monde, cette merveille, et voici qu’il n’y avait plus le monde, et qu’il n’y aurait plus le monde, jamais, pourtant ça ne le faisait pas crier ni frémir, et ces mots qu’il entendait en lui-même, ce que ça voulait dire, ça n’était pas très clair, mais c’était sans importance, ni ce qu’il allait en faire, si du moins il s’avérait qu’il y avait quelque chose à en faire, ce qui semblait improbable, peut-être juste demain et les jours suivants y aurait-il quelque chose qu’il se convaincrait d’essayer, en attendant il disait ça, il se disait ça comme ça, c’est fini, c’est fini, ça se répétait, avec l’immuabilité des choses parfaitement certaines, il n’y avait pas du tout là-dedans cette sorte d’hésitation, de jeu, que savent très bien mettre pour mieux s’arrêter, dès qu’elles ont rempli leur office, les paroles excessives que trouve la peur ou que lâche le ressentiment, et il n’y avait donc même pas de douleur, ça avait la netteté des choses tranchées, c’est fini, et la douleur avec était finie aussi, il traînait seulement en lui l’hébétude superficielle du choc et par-dessous, l’émotion d’avoir vérifié, et nulle surprise en effet quand le taxi l’avait laissé, au retour de Londres, en haut de leur ruelle, pas exactement devant la grille mais un peu avant d’y arriver, avant qu’elle puisse le voir, ce qu’il avait éprouvé alors, ça n’avait pas été de l’inquiétude, et pas davantage une hâte de se précipiter pour y mettre un terme, mais une certitude, et plutôt, parmi les grosses gouttes rares qui devançaient l’orage, dans le sifflement bref des arbres secoués, sous la lumière presque éteinte par les énormes masses noires des nuages immobiles au-dessus de Paris, une panique […]

J'avoue que je serais curieuse de découvrir ce livre. Ca intrigue je trouve. L'extrait donne un bon aperçu
Tu as pu te le procurer finalement ?

Une amie l'avait acheté pour les cours, je le lui ai emprunté. Maintenant, faut que je retrouve l'envie de le lire.